Je ne serai jamais qu’un allié (et c’est fantastique)

Disclaimer: cet article date de 2014; mais des personnes que je connais m’ont signalé qu’elles l’avaient apprécié, alors je le réupload, même si je ne suis pas sur d’être parfaitement en accord avec tout ce que j’y ai écris. Je ferais peut-être une mise à jour un jour pour préciser mes divergences. Disons simplement que même le terme « pro-féministe » me semble poser problème au final, car on ne l’utilise pas dans les autres, et qu’il pourrait être un soucis en lui-même.

Pré-scriptum: J’ai hésité avant de poster ce billet. Il m’apparaît toujours comme étant quelque peu arrogant, ou gonflé. Je ne sais pas pourquoi j’ai cette sensation. Possiblement parce que parler de ses privilèges est une chose qu’on associe à l’arrogance. Ou peut-être pour une autre raison sur laquelle je n’ai pas encore réussi à mettre le doigt. Tant pis, peut-être trouverai-je un jour. En attendant, je le poste.

Un des propos qui m’avait le plus choqué alors que je commençais à m’intéresser au féminisme était le terme de « pro-féministes » que certaines femmes accolaient aux hommes, considérant qu’ils n’étaient pas féministes, qu’ils ne seraient jamais que des alliés.
Mais au final, une chose reste certaine. Aussi violemment l’injustice du sexisme puisse me heurter, elle fait des pauses. Je sors dans la rue, je vais faire mes courses, je ne la prends pas en plein visage. Si je découvre la mort d’une amie, je peux m’arrêter un instant de penser au sexisme, à l’inégalité homme/femme. Je peux me lover en moi-même le temps de récupérer, puisque je ne me le prends pas directement dans la gueule. Même en étant hyper-sensible, je reste avec cette capacité, dans les cas extrême, ou même par simple paresse, de me sortir de cette réalité.

De la même manière qu’être pauvre n’est pas la même chose quand on est de famille pauvre ou de famille riche, de la même manière, un homme ne vivra jamais véritablement le sentiment d’urgence et de panique qu’une femme vivra vis-à-vis du sexisme. Il peut s’en rapprocher s’il vit également des problèmes systémiques, mais cela reste un choix de s’en rapprocher. La souffrance n’est pas la même lorsqu’on l’a décidé, lorsqu’on peut s’en dégager, par rapport à celui ou celle qui est né(e) dedans, et le prendra toujours. La pauvreté est une chose terrible, mais il convient, quand on est d’une famille riche, de ne pas oublier qu’on peut – dans l’ultra-majorité des cas gnagnagnagnagnagna – avoir un solide soutien.

Ce privilège de l’allié est disponible pour chacune des oppressions systémiques qui existent, et marquent inévitablement la différence fondamentale entre l’allié.e et l’opprimé.e. Pour autant, il n’y a pas à se flageller pour ça. Lorsqu’on veut prendre part à une lutte, on a dans l’idée de se l’approprier de façon pleine et totale. Ce n’est pas forcément la meilleure solution. C’est même une considération extrêmement égoïste. Une volonté de se donner un sens. (chose ridicule, comme je l’ai expliqué dans mon précédent billet [pas encore uploadé]). Être un allié, c’est aussi avoir la possibilité de faire des pauses, de se ménager, et, de ce fait, de parvenir à discuter encore et encore, là où d’autres ne peuvent tout simplement plus. Être un allié c’est pouvoir concevoir les schémas psychiques qui régissent l’incompréhension d’un phénomène (alors que l’opprimé a les moyens de connaître les schémas psychiques qui régissent le vécu d’un phénomène), et avoir un meilleur levier pour les faire sauter. Car si jamais un valide ne parlera des merdes quotidiennes que vivent les handicapés aussi bien qu’un handicapé, c’est un valide qui réussira à comprendre les blocages qu’un autre valide peut avoir face à ces situations. Il aura, de plus, une meilleure réception de la part des valides, qui n’auront pas l’idée d’égoïsme qu’on peut apposer à celui défendant sa propre position.

Être allié, c’est bien aussi, parce qu’on apprend à fermer sa gueule. Mieux, on nous le demande. L’injonction, généralement visible dans tout projet d’être « actifs » « sur le devant de la scène » ne se trouve pas dans cette situation. D’abord on la ferme. Oh, ça ne signifie pas ne pas parler du tout, ça signifie que si l\on est avec des femmes, on les écoute d’abord, et si elles nous contredisent, on part avec le postulat premier qu’on a tort. MIEUX ENCORE, être allié est déjà en soi un processus de déconstruction. Au-delà d’une image de rabaissement qui m’était venu à l’esprit au début, en vérité, c’est déjà une prise de position, c’est, au final, le premier acte militant. Fermer sa gueule. Déconstruire cette idée que notre opinion est toujours valide, déconstruire l’idée même qu’il faut essayer d’en avoir une, qu’il faut être actif, qu’il faut prendre part.

Être appelé pro-féministe n’a rien d’un abaissement. C’est un constat de la différence entre deux positions. Je ne serai qu’un allié, et c’est un putain de privilège.’


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