Fake, mode, romantisation et trouble.

J’ai pas trouvé d’articles concernant ce sujet, alors let’s go. Parce qu’un thread twitter serait clairement trop court, et surtout que le sujet est tellement ancestral que ça me gonfle.

Pourquoi en un seul article ? parce que tout ces reproches, qu’ils viennent des fols ou des non-fols, participent du même principe de psychophobie: l’infantilisation des fols. L’infantilisation est une pierre angulaire majeure dans le traitement de la folie. C’est pour ça que de nombreux psys vous expliqueront que certains troubles ne peuvent exister que si la personne n’en a pas conscience. C’est un excellent moyen d’ôter totalement la capacité des individus à se défendre ou à analyser leurs besoins. C’est pour ça aussi que l’on peut enfermer les fols, qu’on peut les droguer, etc. Nous sommes des êtres « inconscients », dangereux et fragile à la fois, nécessitant qu’on protège les autres de nous, et qu’on soit également protégés des autres. Cette contradiction n’est rendue possible que parce que précisément, on est sorti de l’humanité.

Parlons tout d’abord des gatekeeper, et de leurs idées sur « les fakes ». Il faut distinguer deux types de « fakes » tout d’abord. Il y aurait celleux qui « fakent » pour « abuser » et « avoir de l’attention » et celleux qui « fakent » par erreur, par mode, parce que leurs proches sont ainsi.

Rappelons que les problèmes psys ne justifient aucune forme d’abus. Si, dans des cas spécifiques, ils peuvent modifier comment on doit juger les violence d’une personne, jamais ils ne sont une excuse. Une personne qui est alcoolique et violente quand elle a bu n’est certes, pas responsable d’elle-même à l’instant où elle est alcoolisée. Mais elle peut, pour la fois d’après, faire en sorte de ne pas être en présence d’autrui lorsqu’elle boit afin d’être certaine de ne pas infliger de violence.
Il est donc absurde de chercher à trouver qui « fake son trouble pour abuser les autres » puisque c’est votre faute si vous considérez qu’un trouble excuse une violence. C’est votre psychophobie qui doit être travaillé.

Viennent ensuite les personnes qui « fakent » pour avoir de l’attention. Très bien. Ici, il existe deux problèmes en réalité distinct.
Le premier est celui des personnes qui ont « trop d’attention », c’est à dire qu’elles font parti d’un ensemble donnant trop de vue à un type de vécu d’un trouble. Ce sont souvent des concerné.e.s qui ont ce genre de discours. Celui-ci procède de leur souffrance à ne pas parvenir à développer et transmettre leurs vécus d’un trouble, et à continuellement en voir un sur-représenté.
Si cette souffrance est totalement compréhensible, le gatekeeping ici ne ferait que renverser la souffrance. On risque, dans le cas d’une victoire, d’enfermer encore plus le dit « trouble » dans une seule et unique version. Le gatekeeping ici, aura donc l’effet inverse de ce qu’il espère produire.

Le deuxième est celui d’une personne qui aurait une autre maladie, type narcissisme ou mythomanie, et volerait donc, pour combler ses besoins maladifs, le vécu des autres. Il faut noter ici qu’on est typiquement dans le même cas qu’un abuseur, à ceci prêt que la personne a un trouble. En réalité, c’est un mélange entre les deux cas précédents, avec une dose de psychophobie par-dessus. On mélange d’un côté l’idée que la personne abuse, et de l’autre qu’elle doit être gérée parce qu’elle a un trouble. Je ne pense pas avoir besoin d’expliquer pourquoi ça n’aurait que des effets délétères.

Partons ensuite sur les « fakes » par mode, parce que les proches font ainsi, parce que ce sont des ados qui se cherchent etc.
Très souvent, l’argument avancé par bien des combattants du gatekeeping est de dire que ça n’existe pas. C’est une connerie. Bien sur que les modes existent. Bien sur que les adolescents, pour rentrer dans le moule, peuvent suivre leurs proches (cette pensée est d’ailleurs profondément empreinte de jeunisme, car les modes existent quels que soient l’âge des individus, mais vu qu’on reproche ça principalement aux ados, je resterai sur ce postulat).
Mais c’est sans importance. Les modes passent. Les adolescents grandissent. Le gatekeeping n’a pas pour effet d’empêcher les modes ou de forcer les adolescents à ne pas faire comme leur voisin. Au contraire, il a pour conséquence d’augmenter la stigmatisation, et de faire que les individus n’osent plus avouer qu’ils se sont trompés. Le gatekeeping enferme les gens dans des troubles qui ne sont pas les leurs, parce qu’en renforçant la violence sur des individus fragiles, il les pousse à ne pas oser s’en écarter.
La réalité est que ces modes passent. Et que certaines personnes changeront d’avis, tandis que d’autres pas. Le gatekeep ne fait qu’empêcher les modes de passer, et les renforce. Il produit, une fois encore, l’opposé de ce qu’il est censé produire.

La romantisation des troubles est souvent mise en avant quand on parle des adolescents d’ailleurs. C’est très proche de cette idée de « fake pour avoir de l’attention », parce qu’il faut le dire, les troubles, c’est moche, ça tâche, et qu’une personne qui fakerait ça aurait franchement intérêt à amoindrir le truc… wait non en fait. Au contraire, un fakeur aurait cent mille fois intérêt à rendre le truc plus brutal, pour obtenir plus d’attention.
C’est une des incohérences qu’on peut remarquer. Bien souvent, on dit de celles & ceux qui romantisent les troubles qu’iels sont des fakes, alors même que les deux sont fondamentalement incompatibles. Peu importe.

La romantisation des troubles est une réalité, mais une réalité bien plus complexe que ce que beaucoup acceptent de supposer.
La première fois que j’ai entendu parler de romantisation d’un trouble, c’était concernant l’AM, au milieu des années 2000. On parlait énormément d’auto-mutilation sur internet à cette époque. De nombreux forums d’entraide, pourtant bien plus généraux, se sont créés sur cette thématique (AM-entraide, Blessures secrètes, qui deviendra automutilation.info et toute la pléthore d’autres forums qui ont disparu avec le temps et sont nés entre 2005 et 2009). Or, si l’on grattait sous la surface, les personnes qui romantisait l’automutilation appartenaient à deux catégories.

– La première était celle des personnes qui, simplement, ne sur-dramatisait pas l’auto-mutilation. Des personnes concernées, conscientes des risques, qui refusaient de tomber dans la haine collective (fortement poussée par les instituts psys) et dans la terreur sociale qui agitait la société à ce moment-là. Des personnes, donc, qui avait eu le tort de s’organiser entre elles, de se soutenir, et de ne pas tomber dans le misérabilisme que la société exigeait d’elleux.

– la seconde était celle des personnes qui romantisaient véritablement l’automutilation. Ces personnes étaient en réalité les plus atteintes, celles qui ne tenaient pas debout, des personnes déchirées, en souffrance telle que la seule solution était devenue d’aimer cette souffrance pour parvenir à la supporter. Aimer cette souffrance leur permettait de parvenir à l’accepter, à discuter, à en faire quelque chose, et, au final, à survivre. Oui, elle valorisait les jets de sang, s’échangeaient des photos, faisaient des dessins. Mais en réalité, elles étaient toutes les plus fracassées.

Voilà la réalité de la romantisation de l’AM. Soit des personnes qui s’organisaient entre elles et refusaient de tomber dans le catastrophisme socialement accepté de l’époque, soit des personnes qui s’accrochaient de toute leur force pour survivre et n’avaient pas d’autres solutions que d’aimer leur violences envers elle-même.

Le gatekeeping que ce soit pour parler des fakes ou de la romantisation des troubles, c’est le fait de juger quel discours est acceptable, et lequel ne l’est pas. Le problème, c’est que le gatekeeping non seulement ne protège pas les communautés des fakes ou des romantisation, mais en sus, il inflige plus de dégâts à ses membres les plus vulnérables.

Les vécus d’un trouble sont multiples, parce que les individus que nous sommes sont différents. C’est dans cette diversité que nous pouvons trouver, continuellement, de nouvelles manières de nous aider les uns les autres à avancer, à survivre. Chercher à enfermer ces vécus, à les restreindre à un type précis, à trouver qui fake et qui ne fake pas, qui abuse de qui n’abuse pas, qui pour une raison ou une autre n’est pas justifié d’avoir un trouble, n’aura aucun autre effet que d’augmenter la souffrance, sans produire aucune forme de protection supplémentaire. Au contraire, ce sont les plus fragiles qui en souffriront.

Prenez soin les uns des autres. Parce que c’est pas le reste du monde qui va le faire à notre place.


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