Réapprendre à aller mal (CW: (01/04/18)

C’était plus simple quand j’étais suicidaire. C’est une pensée qui me vient de temps à autre. Aller mal quand j’étais suicidaire était plus facile, aujourd’hui que je ne le suis plus, je ne sais plus vraiment gérer ça. Être suicidaire avait très nettement ses avantages. Déjà, j’étais suicidaire continuellement, donc les moments où j’allais mal n’étaient que des moments où j’allais « plus mal » que le reste du temps, mais l’impulsion de sauter devant un bus, de monter sur le toit de mon immeuble pour sauter, de partir vers le canal pour m’y plonger pouvant arriver à n’importe quel moment, même quand j’allais très bien, ça n’avait pas tant de puissance quand je sombrais.

Pour rendre ça plus clair, métaphore mathématique: Je passais de -10 de moral à -15. Aujourd’hui, je passe de 2-3 à -6. L’image est foireuse pour divers raisons (mes -6 ne ressemblent pas à mes bons jours, quand j’étais suicidaire, mes envies suicidaires étaient plus une sorte de refrain qui restait continuellement qu’un véritable changement de mon moral) mais elle représente bien l’idée que je veux faire passer: je tombe moins bas, mais de plus haut, et la chute est limite plus rude aujourd’hui. Être suicidaire offre une habitude, et une échappatoire. On prépare les idées, on s’imagine, on s’offre un truc qui dit « si ça devient insupportable, j’ai qu’à sauter. Ou alors, je peux me tuer avec ça, ça, ça, ça »et on fait l’inventaire de tout ce qui peut tuer dans l’appartement. Et finalement, de savoir qu’il y a un moyen de s’en sortir, ça offre des armes phénoménales face à ces moments.

Sauf que voilà, on décide pas d’être suicidaire parce que « c’est plus simple ». Faire l’inventaire de ces trucs, je pourrais essayer de le faire encore aujourd’hui, mais ça n’aurait pas la même portée, parce que je sais que je n’en ai plus envie, parce que je sais, qu’au fond, je vais fondamentalement mieux qu’à l’époque.

« Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort ».

Je hais cette phrase. Mon adolescence et mon collège en particulier ne m’ont pas tué, mais ils m’ont profondément affaibli. J’ai tenu en m’accrochant avec les dents et je me suis fracturé la mâchoire. J’ai hypothéqué mon futur parce que de toute façon, quand on est suicidaire, c’est sans grande importance. Aujourd’hui, j’ai moins d’énergie qu’à l’époque, parce que non seulement j’ai dû l’utiliser massivement alors, mais parce que maintenant, je suis moins enclin à démolir mon futur. Du moins pas autant qu’à l’époque.

Je me rappelle d’une amie qui disait « je ne suis pas suicidaire, donc tout le monde s’en fout que j’aille mal. Pas comme si j’allais me buter bientôt ». Faut avouer que dans nos communautés d’entraide, on paraît assez facilement au « plus urgent », à la personne « qui risque de se buter, là, de suite ». Et on oubliait un peu celles qui n’allaient pas se buter, mais allaient fondamentalement mal. On allait même jusqu’à supposer que c’était un mal-être pas moins grave…. mais en fait si. Juste qu’on le disait pas comme ça. On préférait le terme « urgent ». Encore aujourd’hui, j’entends encore souvent « mais ça va aller, hein, je vais pas me buter ». Parce qu’on a vécu si longtemps dans cette situation qu’on relativise même le présent. Parce que, au final, à force de vivre dans l’urgence et le suicidaire, on en a oublié comment on fait pour demander de l’aide pour un truc moins violent. On a même oublié comment on fait pour simplement dire que… aujourd’hui, ça va pas.

On en parle entre nous, à demi-mots, du fait qu’être suicidaire, c’était quand même plus simple. Ou qu’être dans l’autodestruction la plus totale, c’était plus intéressant, parce que maintenant, quand on va mal, on est là, face à notre douleur, et on ne sait pas quoi en faire. Je ne sais pas quoi en faire. Faut réapprendre. Comme après une saleté de maladie, y a la convalescence. Et ça risque de durer longtemps. Parce que j’ai passé des années suicidaires, que j’ai fait mon pacte avec moi-même à l’âge de 16ans, pour me donner une année de plus avant de me buter. Pacte où je me suis dit « si dans un an, je vois que j’aurais mieux fait de me tuer aujourd’hui, si rien n’est arrivé qui me fasse me dire « ok, ça aurait vraiment été stupide de manquer ça », je me tue ». Pacte qui est passé de 6mois en 6mois petit à petit. 28 février. 28 août. Jusqu’à il y a quoi ? Deux ans ? Trois ans ? Non. 2ans je dirais. Pas plus. Encore que je peux me tromper. Vu mon rapport temporel pourrave, je peux me tromper. Une décennie au bas mot dans cette situation. Avec des hauts. Avec des bas. Mais avec l’idée suicidaire qui demeure. Et c’est qu’aujourd’hui, des années après, que je me rends compte qu’en effet, va falloir réapprendre à aller mal. Sortir du suicidaire pour réapprendre à aller mal. ça a l’air ironique. Mais en fait, c’est logique.

Prenez soin de vous. Suicidaire ou pas.


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