Les milieux safe, anomalie du milieu militant ? [22/02/18]

Le mouvement du safe… J’en avais déjà parlé à plusieurs reprises. Comment le mot « safe » qui signifie qu’une personne n’est plus en danger a été détourné pour parler de son entourage, qui serait donc protégé, sans oppression. (voir [en Attente de repost] ). J’avais également, dans un tout autre sujet, parler de la survalorisation de la colère dans les milieux militants dans « prendre soin de soi » ( voir [en attente de retour]) avec le fait que la valorisation de la colère induisait un système viriliste où la souffrance d’une personne était reconnue en fonction de sa colère.

Globalement, je ne reviendrai pas sur le fait que la portion militante qui glorifie le safe soit malsaine, que ce soit parce qu’elle vole un concept important des milieux de l’entraide ou parce qu’il est ultra violent. Mais plus le temps passe, plus il me semble n’avoir jamais vu d’analyse ou de réflexion sur ce qui a fait que ce mouvement est né. C’est plus vu comme une anomalie, une erreur. Et aujourd’hui, je pense plutôt que c’est une évolution logique dont les racines sont visibles dans le militantisme twitter/facebook de façon globale.

I] l’exigence de pureté militante et l’hypocrisie à ce sujet.

Si l’on peut régulièrement lire que l’on n’exige pas d’une personne de tout savoir sur tout, qu’on a le droit de dire des conneries et que l’important c’est de se remettre en question, on remarque rarement que ce « et », signifie en vérité « mais », et que, comme le dit une célèbre série, un « mais » signifie que tout ce qui a été dit avant est sans importance. Ça n’a jamais été plus vrai.
En effet, on attend « juste » la remise en question. Mais dans les faits celle-ci doit être immédiate, totale et parfaite. On ne prend jamais en compte le fait qu’une personne puisse avoir besoin de temps pour cela. On scrute ses excuses pour vérifier qu’elles sont inconditionnelles, et surtout, tant que ces excuses n’ont pas été faites, on continue de les exiger, et ce, avec violence.

Il y a une hypocrisie complète dans le fait qu’on dise que chacun peut faire des erreurs, alors même qu’on punit socialement ses erreurs tout en valorisant la colère des opprimé-e-s comme quelque chose de sain.

Or, dans le milieu du safe, la seule différence est que si la personne a EU ces propos « problématiques », elle est ensuite marquée du « pas safe » et définitivement considérée comme inacceptable, et l’on peut lui rappeler des mois ou années plus tard.
En définitif, ici, la seule chose que le mouvement du safe a ajouté, c’est le fait qu’une personne subit sur un temps plus long la violence du mouvement militant. Il y a amplification d’un fonctionnement général, mais pas quelque chose de neuf.

II] La colère comme méthode glorifiée.

La colère dans le milieu militant, j’en avais déjà parlé comme dit plus haut, mais je voudrais aller plus loin. Le lien souffrance ↔ colère s’ajoute au fait que la colère est légitimisante. Combien de personnes ont remarqué qu’elles ont eu une vague de followers supplémentaires ou de RT/fav/réactions, que ce soit sur twitter ou sur facebook, du fait d’une réaction colérique brutale, que n’offre que beaucoup moins (voire pas du tout) de longs sujets d’analyses plus posés.
Le lien souffrance ↔ colère a de nombreux effets pervers. D’une part, il exclue du milieu militant l’intégralité des discours venant de personnes ne supportant pas la colère ou l’agressivité. D’autres parts, ce sont, encore une fois, les personnes les plus privilégiées qui auront le plus de facilité à encaisser la violence de la colère (plus de soutien) ou à la lancer (plus d’habitude à le faire).
La colère, dans la manière dont on exige qu’une personne se remette en question, peut aller jusqu’à ne même pas lui donner les informations nécessaires à celle-ci, ce qui fait qu’au final, la remise en question n’est plus une posture personnelle de réflexion, mais un chemin de piste à suivre, codifié et préparé. On voit ça avec les fameux « supprime » qui, autrefois utilisés uniquement contre des personnalités politiques, est maintenant même utilisé directement dans le milieu militant.
Dans les milieux qui se revendiquent safe, le niveau est placé souvent un cran au-dessus. La colère d’une personne envers une personne qui a eu des propos « problématiques » peut-être, à elle seule, justification de labelliser et rejeter définitivement la personne hors du groupe, et ce, que la personne soit concernée ou pas. Le rapport de force est, à mon sens, juste amplifié. Là où le fait d’être concerné est vu comme justification à calmer la colère dans le milieu militant, ce n’est pas le cas dans les milieux safes où le rapport de force est plus brutal et plus liés aux canons de pensées en cours. Mais on est pour autant dans un même continuum. Simplement une mise en place plus simple & plus extrême du rapport à la colère.

III] La glorification des concerné-e-s

Revenons d’ailleurs sur la notion de concerné-e-s. Ça fait bien longtemps maintenant que des personnes ont signalé que cette exigence de prouver que l’on était concerné-e forçait l’outing sans volonté de la personne. A ceci, la réponse principale a été « dans le milieu militant, si tu t’outes pas, t’étonnes pas de pas être considéré comme concerné-e ». Ce qui, en soit, n’est pas totalement aberrant… si on n’avait pas glorifié le fait d’être concerné-e au-delà de toute logique.
Le premier problème que je vois est la notion même de concerné-e qui suppose que seule la personne qui VIT une chose est concerné-e par cela. Cette notion pose des soucis, car la vie des autres influe sur la notre. Une malade mentale et un malade mental sont concerné-e-s par la maladie mentale. Mais pour autant, la masculinité de celui-ci a une influence sur la violence qu’il subit, de même que la féminité de celle-ci l’a sur la violence qu’elle subit. Pour prendre un exemple de la pensée qui m’habite : les suffragettes étaient, aux états-unis, des suprémacistes blanches. Peut-on véritablement considérer que les hommes noirs n’auraient pas eu leur mot à dire sur le sujet ? Ils étaient concernés également à mon sens. Aujourd’hui, pour prendre un exemple (extrêmement) récent, qu’une femme cis se pose des questions sur la condition masculine et la relation avec les genres non-binaires et la toxicité qui peut en résulter fait-il d’elle véritablement une non-concernée par le sujet ?
Les oppressions sont souvent analysés une à une, voire croisées les unes avec les autres, mais j’ai l’impression qu’on reste dans une optique binaire, qui pose problème:
Le problème, c’est que les concerné-e-s n’ont pas tou-te-s le même avis. Et si, encore une fois, on l’accepte et même on le revendique, il y a une véritable hypocrisie sur le sujet puisque, précisément, quand une personne parle d’un sujet qui ne la concerne pas, on peut lui rentrer dans le lard sur sa condition de non-concernée… sans même prendre le temps de vérifier que si des concerné-e-s pensent de la même manière.

Dans les milieux safe, on va au-delà puisque le fait d’être concerné-e est souvent lié au discours que l’on a. Si celui-ci n’est pas celui dominant, on est rejeté côté « oppresseu-r-se ». C’est ainsi que, dans une même discussion sur la gifle = enfant battu, j’ai, dans le milieu militant, eu un exemple de dissonance, avec tout d’abord une exigence que je me considère comme victime d’abus, puis un rejet et être taxé « d’abuseurs » là où, dans un groupe safe d’alors, on m’a purement et simplement nié le fait d’avoir reçu des gifles car « jamais tu ne dirais ça si c’était vrai ». On va également au-delà, puisque, dans ces milieux, les oppressions sont parfois même utilisées quasiment comme des CVs.
Là encore, le milieu safe va, certes, au-delà du milieu militant, mais il n’a rien de vraiment différent, il évite juste des dissonnances.


IV] Des codes.

Les codes dans le milieu militant sont extrêmement nombreux. Transsexuel/transgenre/trans/trans*, malade mentale/trouble psys/neuroatypique/neurodivergent. Les mots, tout d’abord, sont extrêmement importants. On doit connaître les bons, savoir comment les utiliser. Il faut savoir se remettre en question, vite, et surtout, bien, comme je le disais, avec les bonnes méthodes d’excuses.
La colère donnant de la légitimité, on voit régulièrement des personnes en colères s’énerver de plus en plus jusqu’au jour où elles font un faux pas, où leurs colères n’a pas été dirigé selon les codes, ou dans les bonnes formes, et c’est la shitstorm brutale et violente.
Le nombre de code dans les milieux militants est tellement impressionnant et les punitions pour non respect des codes peuvent être si brutales, qu’au finale, les personnes qui parlent sont de plus en plus les mêmes, les discours se polissent, et la contradiction se perd. Certes, il y a des moments où l’on n’est pas d’accord, mais cela reste bien souvent sur des détails et surtout, il y a toute une portion de la population qui ne peut littéralement pas parler, par manque de connaissance, de temps, ou pour des problèmes de handicaps ou autres.

Dans les milieux safe, c’est la même considération, à ceci prêt que les codes sont figés. Ils ne se modulent pas plus ou moins au gré des shitstorms, ce sont les personnes qui ne rentrent pas dans ces canons de pensées qui sont éjectées.
Est-ce vraiment une anomalie ? J’y vois juste un extrême, une évolution, une simplification des codes. Il est plus simple de suivre un univers dans lequel les codes sont fixes qu’un dans lequel les codes varient.



En vérité, je pense que le monde du safe n’est pas une anomalie du milieu militant, mais une simplification & extrêmisation de celui-ci. On simplifie les codes en les figeant, on simplifie les discours en les limitant à un unique, on simplifie tout le chemin de piste des excuses en les refusant purement et simplement. Le milieu militant est extrêmement hypocrite entre ce qu’il prétend faire et ses actes, le milieu safe est juste plus radical et plus clair.
Pour moi, tout ça me fait penser que tout ce qu’on a vu dans les milieux safes vient avant tout de nous. C’est pire. Mais ça n’est pas apparu comme une distorsion de ce que nos milieux sont, juste une évolution.

Je ne sais pas où je veux en venir. Je me rappelle simplement ces mots d’une femme, grosse, pauvre, bi, victime d’abus et avec des problèmes psys long comme le bras : « le milieu militant est trop violent pour moi. », et je me dis que quand même, y a un truc qui pue quelque part. J’ai pas de solution. Je vois juste le problème. Désolé si vous espériez plus.


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